Chine - États-Unis : Un nouveau sujet de dispute
Vue par la Chine, la nouvelle stratégie de désarmement des États-Unis présentée le 2 juin 2023 par le conseiller à la Sécurité nationale, Jake Sullivan, dénonce l’expansion substantielle des capacités nucléaires de la Chine pour justifier la refonte des forces de dissuasion américaines et renforcer encore l’arsenal de la superpuissance nucléaire. Plus loin, la sommation signifiée à Pékin de participer aux nouvelles négociations Start, une condition nécessaire pour que les États-Unis puissent désarmer, est un artifice qui permet au Pentagone de conserver sa triade, tout en en faisant porter la responsabilité du statu quo à la Chine.
FAITS
Le 2 juin 2023, Jacke Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, a présenté la nouvelle stratégie de désarmement des États-Unis lors de la réunion annuelle de The Arms Control Association. Dans son propos il presse la Chine de s’asseoir à la table des négociations, car c’est Pékin qui détient la clé du désarmement
ENJEUX
Pas d’enjeux, le désarmement est repoussé sine die.
COMMENTAIRES PROSPECTIFS
C’est avec beaucoup de solennité que Jacke Sullivan, conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, a présenté au monde le contenu de la politique américaine de désarmement nucléaire. « Une nouvelle stratégie en deux temps pour prévenir une course aux armements, réduire le risque d’escalade et, surtout, assurer la sûreté et la sécurité du peuple américain et des peuples du monde entier face aux menaces nucléaires ».
- La modernisation complète des composantes de la triade nucléaire : les ICBM, les sous-marins lanceurs de missiles balistiques et les bombardiers, ainsi que l’architecture IC3 nucléaires. Mieux, mais pas plus. Les États-Unis n’ont pas besoin d’augmenter leurs forces nucléaires pour dépasser leurs concurrents et les dissuader. Ils sont ainsi assurés de leurs forces.
- L’ouverture, sans conditions préalables, de discussions bilatérales avec la Russie et la Chine sur le désarmement et la réduction des risques. Sans conditions, mais non sans contrôle, avec l’engagement de rendre des comptes. Nos adversaires et nos concurrents devront respecter les accords signés1.
Le contenu de l’accord, et ce que les États-Unis pourront accepter, dépendra évidemment de l’ampleur du programme nucléaire en cours d’une Chine qui se trouve placée au centre du jeu nucléaire. Tout engagement des États-Unis en faveur du désarmement nucléaire à l’avenir dépendra de la Chine. « Nous serions prêts à un régime de désarmement après 2026, mais une variable clé sera la nature de nos relations avec la Chine d’ici là […] Nous espérons que lors des discussions diplomatiques, (comprenez dans le cadre de la négociation d’un nouveau traité Start), Pékin sera disposé à s’engager substantiellement sur les questions stratégiques, ce qui serait bénéfique pour la sécurité de nos deux pays et pour celle du monde entier. »2
Pour Washington, beaucoup reste à faire. Depuis des années, la RPC refuse de s’asseoir à la table des négociations pour entamer un dialogue de fond sur la maîtrise des armements. Elle refuse de faire connaître la taille et l’étendue de ses forces nucléaires, de fournir des notifications de lancement. Mais pire encore, une étude a montré que d’ici 2035, la RPC sera en passe de posséder jusqu’à 1 500 ogives nucléaires, ce qui représentera l’un des plus importants renforcements nucléaires en temps de paix de l’histoire. À quand la transparence et des forces ouvertes aux inspections ?
Selon les chroniqueurs américains, ce ne sera pas pour demain. La Chine n’a jamais fait partie d’un accord sur les armes nucléaires et n’a montré aucun signe de vouloir réduire ses programmes d’armement. Comment pourrait-il en être autrement ? Et comment Pékin pourrait-il accepter de s’ouvrir à des négociations, alors qu’à la Maison blanche, avec le discours du conseiller pour la sécurité, on ignore tout, ou plutôt on veut tout ignorer, de la Chine nucléaire.
Comme le déclare l’ambassadeur Li Song, le représentant de la Chine au Comité de l’ONU sur le désarmement, des négociations à deux ou à trois ne sont pas souhaitables. « Il est nécessaire de maintenir fermement et d’utiliser pleinement les mécanismes multilatéraux existants. Le fait de minimiser le rôle de la Conférence du désarmement, de saper le principe du consensus, ou même d’essayer de créer d’autres forums en dehors de l’organe actuel et d’imposer certaines règles à certains pays, conduira inévitablement à la division des camps, à la fragmentation de la gouvernance de la sécurité, et à la régression de l’ordre international jusqu’à la loi de la jungle3. » Pas de Start, donc.
Et quelle peut être la réaction de la Chine à l’annonce par la Maison Blanche du déploiement d’ici à 2035, de 1 500 têtes nucléaires ? Ce qui est tout simplement inepte. Un tel programme avec tout ce qu’il impose en contraintes industrielles et en temps requis pour passer de la conception initiale au déploiement opérationnel, impliquerait qu’ait été subrepticement abandonnée une doctrine nucléaire inchangée depuis cinquante ans. Il n’en est rien. Devant la Commission sur le désarmement, en 2023, la Chine a rappelé qu’elle est « fermement attachée à une stratégie nucléaire défensive et qu’elle est le seul État doté d’armes nucléaires à s’engager à ne pas recourir en premier aux armes nucléaires. Elle a toujours maintenu ses capacités nucléaires au niveau minimum et fiable requis pour la sécurité nationale, et n’a jamais rivalisé avec d’autres pays en termes d’investissement dans les armes nucléaires, ni en quantité ni en échelle.
Pour Pékin, revenant aux deux composantes de la stratégie nucléaire des États-Unis, rappelée en début d’article :
ces clameurs dénonçant « l’expansion substantielle » des capacités nucléaires de la Chine ne serait qu’un prétexte pour renforcer encore l’arsenal de la superpuissance nucléaire ;
la sommation signifiée de répondre aux exigences de Washington, sous peine de renoncement au désarmement, est un artifice qui permet au Pentagone de conserver sa triade, tout en en faisant porter la responsabilité à la Chine.
La communauté internationale et l’Europe, témoins passifs, vont constater que le désarmement s’annonce comme un nouveau sujet d’affrontement entre les États-Unis et la Chine qui déjà n’en manquaient pas.
Edouard Valensi, Asie21
Edouard.d.valensi@gmail.com
(1) Remarks by National Security Advisor Jake Sullivan for the Arms Control Association ; White House ; 02/06/2023
(2) Tout engagement américain en faveur du désarmement nucléaire à l’avenir dépendra de la Chine. Le Figaro 02/06/2023
(3) Remarks by H.E. Amb. LI Song at the First Plenary Meeting of the 2023 Conference on Disarmamen ; 25/01/2023